Un peu d’histoire Venise
Dès 1300 av. J.-C., les Vénètes, un peuple indo-européen, sont installés dans les îlots de la lagune et vivent tranquillement en petites communautés. Après s’être repliés sur la terre ferme, les Vénètes sont contraints d’y revenir sous la pression des invasions barbares.
Nous sommes au Ve siècle, l’Empire romain, christianisé depuis la conversion de Constantin en 315, commence à battre de l’aile. L’instabilité règne. Du coup, les habitants de la Vénétie trouvent tout naturellement refuge sur ces lagunes. Ils vont s’y installer progressivement. Ils choisissent deux sites stratégiques : Torcello, au nord, et Malamocco, au sud…
Dans le même temps, les Byzantins, qui avaient réussi à prendre le contrôle de toute l’Italie dès 563, reconnaissent en eux des alliés de confiance. Du coup, la situation se stabilise et les églises fleurissent un peu partout. Un site appelé le Rivo Alto (le Rialto), facilement accessible, est élu comme centre d’échanges. Il préfigurera l’actuelle Venise qui, elle, verra le jour au seuil du IXe siècle alors que les armées de Charlemagne débouleront dans la région.
À partir de cet embryon de ville, une cité marchande se développe rapidement, tirant profit de sa situation, entre les empires franc et byzantin, entre Occident et Orient. Habiles diplomates, les Vénitiens, bien qu’inféodés à Byzance, ne tardent pas à affirmer leur autonomie. Enrichis grâce à l’exploitation du sel des salines de Chioggia (au sud de la lagune), ils établissent des comptoirs un peu partout autour de la Méditerranée, mais aussi en Europe occidentale, et s’affirment, à l’instar des Génois et des Pisans, comme les premiers marchands d’Europe.
Mais l’empire de Byzance commence à s’effriter, les Normands sont en pleine expansion ; peu sûre et difficile à tenir, la terre ferme n’offre aucune perspective de conquête. C’est donc vers la mer que se tournent les Vénitiens. Idéalement placés sur l’Adriatique, ils dopent leur flotte marchande au cours du XIIe siècle en créant l’Arsenal. Ce dernier alimentera la machine de guerre économique pendant plusieurs siècles.
Le passage d’une dimension régionale à la dimension mondiale (du moins à l’échelle du monde connu au Moyen Âge) se fait par un véritable hold-up : la quatrième croisade. Les Vénitiens feront des affaires en or : moyennant un paiement d’avance, ils vont louer leur flotte aux croisés afin qu’ils puissent se rendre en Terre sainte. Le seul problème, c’est que les soldats du Christ n’ont pas un sou en poche. Qu’à cela ne tienne ! Sous la gouverne d’Enrico Dandolo, un doge rusé comme un renard, Venise intime l’ordre aux croisés d’aller piller Byzance, rien que ça ! Et non sans s’être fait la main auparavant sur la ville croate de Zara (l’actuelle Zadar). Les croisés en oublieront même la Palestine…
Du coup, avec ses nouvelles possessions (la côte dalmate – actuelle Croatie -, la plupart des îles grecques, dont la Crète qui sera, avec Chypre plus tard, son grenier à blé), Venise s’impose sur le commerce mondial de l’époque. Et cela va durer trois ou quatre siècles !
Devant tant d’enjeux, Venise doit adapter ses institutions. Le système complexe qui régule l’administration de la cité, avec la place prépondérante du Grand Conseil (émanation de l’aristocratie vénitienne), est amélioré au XIIIe siècle. La cause ? L’importance que prend Venise sur le plan international. La Sérénissime est devenue quasiment un empire colonial et donc militaire, même s’il n’y a pas eu de vraies colonies de peuplement.
Politiquement, ce n’est pas une monarchie ni un royaume mais une république aristocratique dotée d’un pouvoir collégial. Le doge est élu par ses pairs (démocratie) et sa place ne s’hérite pas. Il est au service de Venise.
Au XVe siècle, la puissance vénitienne est à son apogée. Les Vénitiens ont à la fois un empire maritime unique qui s’étend jusqu’à Chypre (annexée en 1488) et des possessions terrestres qui vont jusqu’à la basse vallée du Pô. La mer Méditerranée est leur mère ! « Cultiver la mer et laisser la terre en friche », cette devise leur a permis de s’enrichir et de gagner le premier rang parmi les nations ! L’ensemble de ses revenus annuels la place au même rang que le duché de Bourgogne ou encore les royaumes de France et d’Angleterre. Venise est enviée et honnie par ses voisins. Le commerce et la finance sont florissants, les Vénitiens sont les premiers banquiers du monde et ils attirent un grand nombre de nationalités, ce qui fait de la République un carrefour culturel.
Mais le vent va tourner. L’arrivée, en provenance de Chine, de la boussole et du gouvernail va permettre aux Portugais de révolutionner leur marine à voile. Du coup, sous l’impulsion d’Henri le navigateur, les Portugais entament leur circumnavigation de l’Afrique et finissent par ouvrir de nouveaux comptoirs en Asie. Après la découverte par Vasco de Gama de la route des Indes, plus facile, moins onéreuse, la route terrestre des épices (ouverte au XIIIe siècle, du temps de Marco Polo) échappe désormais au contrôle de Venise. C’est une perte énorme ! Dans le même temps, les Espagnols découvrent le Nouveau Monde (1492), tandis que l’Empire ottoman s’empare de presque la totalité des possessions vénitiennes. Bref, ça va mal…
L’expansion ottomane porte un coup sévère à la grandeur de la Sérénissime qui va littéralement s’épuiser à batailler sur tous les fronts. Les marchands doivent se faire guerriers, ce n’est pas vraiment leur métier…
Curieusement, la vie intellectuelle de la cité est de plus en plus brillante, les arts sont à leur sommet et son prestige culturel fascine l’Europe entière. Le XVIe siècle est celui des grands maîtres de la peinture vénitienne : Titien, Tintoret, Véronèse.
Dans le même temps, on redistribue les cartes en Méditerranée. Sous le règne de Charles Quint, l’Europe est dominée par la dynastie des Habsbourg d’Espagne. L’empereur du Saint Empire reprend le contrôle du commerce en consolidant son protectorat dans la Botte italienne. Venise doit s’allier avec la France pour se battre à Marignan en 1515 contre les impériaux. La Sérénissime a des ennemis sur terre ferme mais aussi sur mer. Elle doit affronter une force redoutable : les Turcs. Depuis la chute de Constantinople en 1452, les Ottomans n’ont pas cessé d’accroître leur empire. Ils viennent d’achever leur mainmise sur le Moyen-Orient, et étendent leur influence vers les Balkans et l’Europe centrale. La guerre est déclarée entre la chrétienté et le monde musulman. Venise se tourne alors vers le pape pour former une Sainte Ligue et s’allier aux Espagnols pour tenter d’enrayer la poussée ottomane.
Néanmoins, les dangers militaires en Méditerranée, les menaces extérieures n’empêchent pas Venise de briller de sa glorieuse flamme.
L’année 1565 sème la mort à Venise avec la peste qui fait des ravages. Un malheur n’arrive jamais seul : les Turcs prennent Nicosie et Famagouste. Chypre est bientôt perdue. Le 7 octobre 1571, les Vénitiens et la coalition européenne affrontent les Turcs. C’est la fameuse bataille de Lépante (aujourd’hui Naupacte, au nord-est de Patras, en Grèce). Ce fut la bataille navale la plus sanglante et la plus meurtrière que la Méditerranée n’ait jamais connue. Les Turcs sont battus, ils perdent 116 navires, mais, après cette défaite, ils n’en reconstruisent pas moins du double. Cependant, cette bataille de Lépante ne débouche sur aucune conquête territoriale. Et quand bien même les Ottomans consolident leurs positions, raflant à Venise quelques belles possessions comme la Crète, ils perdent leur suprématie sur la mer.
Retour de la peste à Venise en 1630-1631 avec 46490 morts, soit le quart de la population ! Le 22 août 1645, les Turcs prennent La Canée (Crète) et en 1650 tous les Vénitiens de Constantinople (Istanbul) sont expulsés par le sultan. Après des années de combat en Méditerranée pour consolider ses positions, Venise finit par céder la Crète (elle fut vénitienne pendant 450 ans) à l’Empire ottoman victorieux (1668). L’orgueil des Vénitiens est atteint. La richesse de Venise n’est plus qu’une façade car la ville s’endette pour maintenir son train de vie fastueux.
Pourtant, malgré l’adversité, les vicissitudes et les malheurs, elle continue à faire la fête ! Venise insouciante et heureuse reste la capitale européenne des plaisirs. Au XVIIIe siècle, le Carnaval peut durer jusqu’à 6 mois ! Venise ne cesse de rayonner à travers toute l’Europe. La cité n’a jamais été aussi belle, aussi joyeuse, on n’y a jamais connu une telle douceur de vivre. Malgré la présence du tribunal de l’Inquisition, aucune cité au monde ne peut jouir d’une telle liberté. Résolument tournée vers les plaisirs, la Sérénissime affirme ses tendances pour le libertinage. Casanova et Goldoni épanouissent leur génie, l’un dans le libertinage, l’autre dans la comédie, au cœur de cette Venise pétillante, galante, voluptueuse et raffinée. Mais force est de constater qu’en tournant le dos au monde de la sorte, l’aristocratie vénitienne se coupe des réalités qui l’entourent. Le monde change, elle va s’en apercevoir mais trop tard…
Le dernier doge, 120e de la série, Ludovico Manin, démissionne quand Bonaparte déclare la guerre à Venise. Finie, l’indépendance que les Vénitiens avaient toujours connue. Le traité de Campo-Formio (1797), donne Venise à l’Autriche qui, à l’exception des années 1805-1814 (retour de Napoléon qui puise dans les trésors de la cité) et 1848-1849 (insurrection conduisant à la création éphémère de la seconde république de Venise), met la ville au pas. Celle-ci n’est plus alors que l’ombre de ce qu’elle fut.
Petit à petit, les Vénitiens se tournent vers l’avenir : le train relie bientôt Venise au reste de l’Italie. Grâce à Napoléon III, qui organise une consultation en 1866, les Vénitiens choisissent le rattachement au nouvel État italien.